Lorsque nous avons emménagé dans notre nouvelle maison de Marolles-en-Brie, nous savions qu’il y avait une église où nous pouvions aller. A sept minutes en voiture se trouvait la paroisse francophone de Père Georges, qui relève de la juridiction de la Métropole orthodoxe roumaine d’Europe occidentale et méridionale. Je l’avais rencontré pour la première fois à Saint- Sulpice : un père rempli de la douceur et à l’apparence d’un Père Noel. Il avait une longue barbe blanche, il était de taille moyenne, le visage serein et joyeux et les mains chaudes de grand-père. Il y officiait une fois par mois. Il faisait toujours son homélie après la lecture de l’Évangile du jour en français. Celle-ci était toujours brève, mais assez pour remplir les cœurs de la grâce du Seigneur en surabondance. Il parlait de manière essentielle, existentielle et substantielle. Lorsque nous avons déménagé, nous avons découvert qu’il officiait juste là à Sucy-en-Brie, la ville voisine de la nôtre. Il nous a accueillis avec beaucoup d’amour et nous a immédiatement fait sentir comme dans une famille. Il montrait toujours son attention vis-à-vis des fidèles. Par exemple, lorsque, peu de temps après, nous nous sommes absentés à la Divine Liturgie, il nous a appelés pour nous demander si tout allait bien. Il nous rappelait toujours l’amour du Christ envers nous, amour qu’il connaissait véritablement. Au-delà des impuissances, des faiblesses, petites et grandes, qu’il fallait montrer avec sincérité au Fils de Dieu, il nous exhortait à ne pas oublier à quel point Celui-ci nous aime. Et il Lui rendait grâce pour tout et nous apprenait à Lui rendre grâce nous aussi et à être reconnaissants. Souvent, je sentais qu’il couvrait, avec le vêtement de son amour, tous les péchés de ceux qui étaient présents, comme s’il voulait nous protéger devant le Seigneur, pour qu’Il nous accepte, aussi laids que nous étions, grâce à son sacrifice, prêt à recevoir le blâme à notre place. Sa prière était simple, profonde, véritable, les yeux fermés, le visage ancré dans le Seigneur et les bras ouverts. Il nous disait : « Le Christ est parmi nous, le Christ est en nous. Soyons sincères, avec nous-mêmes et avec Lui. Ouvrons-Lui nos cœurs et présentons-les à Lui, en Lui disant et en Lui montrant : voilà ce que je suis, ce que je peux, ici et maintenant, mais je sais que Tu es dans mon cœur et que Tu m’aimes tel que je suis. Je ne désespère pas, mais je me réjouis. » Lorsqu’il y avait une agape à l’église, il partageait d’abord ce qu’il y avait à manger à ceux qui étaient présents, puis il mangeait. Ensuite, il partageait à nouveau, avec générosité. Il ramenait souvent de sa propre cave de bons vins aux agapes, des vins nobles et anciens. Il laissait les petits enfants toucher sa barbe, il les faisait rire et leur donnait des fruits. A la naissance de notre deuxième enfant, lorsqu’il est venu chez nous, il avait oublié son livre de prières chez lui, et il n’avait pas où trouver la prière d’attribution du nom. Il m’a consolée avec tendresse et affection en me disant : « Ne t’inquiètes pas ; je connais l’esprit de cette prière ». Et il l’a dite immédiatement, avec ses propres mots, en résonnance avec son âme magnanime. Parfois, nous avions l’impression qu’il nous disait exactement ce qu’il nous fallait entendre, ainsi, soudainement, il faisait disparaître toutes les difficultés.
Mihaela MAN, Paroisse « Saint Martin », Sucy-en-Brie, France
«Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu!»
Dans la vie, dans les moments les plus difficiles, Dieu vous tend la main par ceux qui sont à vos côtés. En ’96, au moment où l’atmosphère dans l’église roumaine se trouvant rue Jean de Beauvais était devenue plutôt carcérale que libératrice, le fil barbelé était apparu sur la clôture de l’église et les portes étaient fermées pour presque tout le monde. Désespérant de ne plus avoir d’endroit pour aller le dimanche à la Divine Liturgie, j’ai appris que quelque part, du côté de Saint-Ouen-sur-Seine, il y avait une petite église où l’on officiait en roumain aussi. Parmi les célébrants, français et roumains, un diacre un peu plus âgé, à l’accent de Marcel Pagnol et un sourire qui irradiait sur tout son visage, a tout de suite attiré mon attention. Il me rappelait un autre diacre âgé que j’avais vu jadis dans l’église de la Place Amza et, soudainement, la tristesse et le manque de l’église roumaine se sont évanouis, et je me suis senti transporté quelque part dans le Bucarest que j’avais quitté quelques années auparavant. J’ai fait connaissance avec tous ceux qui s’y trouvaient, des Français, des Serbes et des Roumains et j’ai appris comment il s’appelait : diacre Georges. Cela faisait quelque temps qu’il s’était converti à l’orthodoxie, lui, qui dans sa jeunesse avait passé quelques années en tant que novice à La Grande Chartreuse ! Ses yeux, qui étaient d’une profondeur et d’une lumière qui reflétaient une béatitude intérieure, m’impressionnaient. Les dimanches suivants, je me suis approché de plus en plus de lui. J’ai aussi connu son épouse, Claire, qui chantait à la chorale, et leurs quatre enfants. J’y allais le matin pour l’aider avant la Divine Liturgie. Il arrivait en premier et, méticuleusement, comme un vrai diacre célébrant, il préparait tout ce qui était nécessaire pour l’office. « Sois le premier dans l’église ! » me dit-il un jour. « J’arrive le premier et je suis le dernier à partir. Fais-en de même. Tu verras, au moment où les autres vont arriver, ils commenceront à parler, à se dissiper dans beaucoup de bavardages inutiles ; écoute-les, mais pas d’une oreille attentive et tais-toi. Ne fais le jeu de personne. Sois uniquement avec le Christ. Dépose leurs impuissances, ainsi que les tiennes, au pied de la croix du Seigneur et dis-lui : « Regarde, Seigneur, toute cette souillure, dont nous sommes coupables, et lave-la avec Ton Sang Très-Pur ! » Mets toute ta confiance dans le Christ et vis en Le gardant dans ton cœur ! ». Il ne disait du mal de personne, il ne critiquait pas et ne jugeait pas : « Chacun aura son propre jugement, laisse le Christ assumer le poids du jugement » me disait-il. Il m’aidait en me faisant travailler dans différents endroits et dans des situations différentes. Parfois, je me rendais compte que ce que je faisais ne lui était pas absolument nécessaire, mais il s’agissait d’une manière discrète de m’aider à gagner décemment mon existence. Ma collaboration avec l’église de Saint-Ouen-sur- Seine a cessé environ deux ans plus tard, m’étant rapproché de la communauté qui s’agrégeait autour de Monseigneur Joseph, le Métropolite Orthodoxe de l’Europe Occidentale et Méridionale, mais nous sommes restés en contact et je lui demandais souvent des conseils. Nous nous sommes revus quelques années plus tard et cette fois j’étais le diacre et lui, le prêtre, ordonnés tous les deux par Son Éminence le Métropolite Joseph. Il officiait dans sa petite ville, Sucy-en-Brie où une petite communauté de français s’était formée et qui était, évidemment, fréquentée par des Roumains aussi. J’officiais avec lui de temps à autre. Comme d’habitude, il arrivait le premier et il préparait toute l’église pour l’office. Tout devait être préparé, parce qu’il officiait dans une chapelle mise à disposition par la communauté catholique, qu’il transformait en église orthodoxe et qu’il devait laisser comme il l’avait trouvée ! Je me rappelle d’un dimanche d’été où je suis allée officier à l’église avec lui. J’étais arrivé exprès un peu avant lui. Comme d’habitude, il essayait de ménager ceux qui l’entouraient, en faisant ce qui était plus difficile : « Bouge pas, bouge pas ! » avait-il l’habitude de dire, avec une affection paternelle, en laissant les autres faire les choses les plus simples. J’en avais honte, car il était âgé de plus de 70 de ans, mais il ne lâchait pas l’affaire. Peu à peu, les fidèles ont commencé à arriver, les Matines ont débuté, il s’est occupé de la Proscomidie, alors que la chaleur se faisait de plus en plus ressentir.
La Divine Liturgie commença et, après les premières ecténies, lorsque j’ai pénétré dans l’autel et je me suis approché de lui, j’ai senti une odeur de transpiration. Cela faisait plus de deux heures qu’il était vêtu de ses vêtements liturgiques, sous la chaleur, après avoir transporté tout le matériel et préparé l’église. Je suis sensible aux odeurs, surtout à l’odeur de transpiration et je me suis dit : « Seigneur, comment vais-je pouvoir supporter cette odeur de transpiration jusqu’à la fin de la Divine Liturgie ? ». La réponse n’a pas tardé à se manifester et quelques instants plus tard, depuis l’endroit où était le Père, une belle odeur de myrrhe s’est répandue en l’enveloppant ! J’ai vérifié s’il ne s’agissait pas d’une odeur d’encens, mais l’encensoir était de l’autre côté de l’autel et l’encens s’était consumé depuis longtemps ! Des larmes ont rempli mes yeux et j’ai compris la leçon que le Seigneur n’a pas tardé à me donner : « vois qui est l’homme à côté de toi ! ». Cette odeur ne l’a pas quitté sur toute la durée de la Divine Liturgie et moi, étonné et humilié, je me sentais porté par la prière du Père, tellement simple et humble devant le Calice. Quelques jours avant sa naissance au Ciel, je suis allé lui rendre visite à l’hôpital. Malgré sa grande souffrance, c’était lui qui nous encourageait et nous réconfortait. Il était très paisible et beau, heureux de partir servir Celui qu’il avait tant aimé et auquel il avait dédié sa vie : le Christ, notre Seigneur. J’ai lu l’hymne paraclisis de la Mère de Dieu, avec Claire à mes côtés et le Père était tellement présent dans la prière que lorsque Claire, étranglée par l’émotion, perdait le fil des lignes, le Père continuait la prière depuis son lit, comme s’il le faisait d’ailleurs. Il pensait à ce qui allait arriver à sa petite paroisse, mais il mettait sa confiance en la miséricorde du Seigneur et en l’œuvre de Monseigneur Joseph, qu’il aimait et respectait profondément. Quelques jours après sa naissance au ciel, je suis allé, avec Père Nicolae et Père Mircea, préparer son corps pour l’enterrement. Je craignais qu’après quatre jours passés dans la chambre froide du funérarium son corps ne soit raide et difficile à oindre et à habiller. Mais, stupeur une fois de plus : sa chair était tendre, sans rigidité cadavérique et nous avons pu le vêtir. C’est comme s’il nous réconfortait à ce moment-là aussi. Après lui avoir mis ses vêtements sacerdotaux, son visage s’est illuminé comme jadis : son corps avait retrouvé la dignité de la prêtrise ! Nous avons peut-être perdu un Père, mais la Paradis a gagné un Saint ! Mémoire éternelle !
Père Octavian DABIJA
«Chez père Georges, tout était simple et intuitif et menait à la paix.»
Avec sa longue barbe blanche et l’énergie de quelqu’un deux fois plus jeune, père George se faisait facilement remarquer. Dans ses brèves homélies, il nous encourageait sans relâche à nous remettre entre les mains du Seigneur et de Sa Très-Sainte Mère. J’ai toujours eu l’impression qu’il parlait de son expérience. Plus ses mots paraissaient simples, plus il m’a fallu de temps pour comprendre au moins une partie de leur sens, car chez père Georges tout était simple et intuitif et menait à la paix. Je me suis rendu compte qu’en fait, la difficulté résidait ailleurs ; il appliquait simplement ce qu’il prêchait : il déposait ses soucis devant le Seigneur, sans chercher à donner des leçons à Dieu, mais plutôt en se laissant guider. Cela lui donnait une joie dont il était toujours rempli et qui était ressentie de l’extérieur, qui se répandait vers ses semblables dès le premier instant de la première rencontre, en s’adressant à eux comme à de vieux amis. Quand j’étais adolescent, je me demandais parfois : « Comment s’y prendrait un tel dans ce cas ? » Maintenant, quand je m’interroge, je me dis : « Comment père Georges s’y prendrait-il ? » et je suis heureux, car je reçois dans mon cœur son conseil. Que Dieu lui pardonne ses fautes et qu’Il permette qu’il reste notre guide et notre intercesseur.
Gabriel TURINICI, professeur en mathématiques à l’Université de Sorbonne
«Père Georges Bellières, visage de l’amour paternel»
Nous étions ‒ et nous le sommes encore ‒ très attachés à la Crypte de Saint-Sulpice de Paris, plus précisément à la Paroisse « Sainte Parascève et Sainte Geneviève », où mon époux, père Nicolae Florea, avait été présent dès le premier office célébré. De temps en temps, un prêtre français venait officier aux côtés des jeunes serviteurs du Saint Autel. C’était un père français de petite taille, toujours souriant : c’était le père Georges. Nous étions jeunes, désireux d’avoir un enfant, et Dieu, dans sa miséricorde, nous a permis de concevoir. Cependant, la joie de mettre un enfant au monde était parfois assombrie par nos craintes terrestres. Mon époux me voyait me tourmenter : comment pourrais-je être mère alors que je me sentais à l’intérieur de moi-même toute petite, encore une fillette ? Mais voilà, un dimanche, après la Divine Liturgie, sans que j’aie cherché des paroles d’encouragement, je vois père Georges s’approcher de moi, apposer ses mains sur mes épaules et me dire d’une voix de véritable père aimant : « Confie à Dieu toute ta peur, appelle-Le pour qu’Il vive tout ceci avec toi et tout ira bien ! ». Cela m’a suffi ! Je me suis apaisée et j’ai commencé à remettre à Dieux toute ma peur, comme père Georges m’avait conseillée. Toutes les inquiétudes se sont évanouies. Certes, père Georges nous portait devant Dieu les mains levées vers le ciel, le regard tourné vers le haut, un sourire chaleureux sur les lèvres. Les années se sont agréablement écoulées et je suis tombée enceinte pour la deuxième fois. La surface de notre logement n’était pas très grande et justement à notre étage une chambre venait d’être mise en vente. Mais où trouver les ressources ? La banque exigeait que quelqu’un se porte garant. Père Georges nous a accompagnés, il a réuni les documents nécessaires, nous aidant de manière concrète, pas seulement par des conseils. Quelques années plus tard, il a fallu déménager à nouveau. Nous avons trouvé une maison précisément dans la petite ville où habitait père Georges, à Sucy-en-Brie. Comme vous devez probablement l’imaginer, père Georges nous a encore aidés ! C’est lui-même qui a passé un coup de fil à la propriétaire pour lui apporter les plus beaux arguments, afin qu’elle nous vende la maison. Nous étions, nous-mêmes, étonnés de l’entendre nous présenter si bien ! Il nous a beaucoup portés en prières et aidés, comme un véritable père, tant pour les choses matérielles, que sur le plan spirituel ! Il nous a emmenés dans des pèlerinages inoubliables, vénérer les Saints de Grèce, et, petit à petit, sentant qu’il allait se retirer de cette vie, il a préparé le terrain pour que nous reprenions la petite paroisse qui le porte dans son cœur en tant que père de l’amour ! Que ses douces prières nous accompagnent, maintenant qu’il se trouve avec ceux qui ont mené le bon combat !
Presbytéra Monica FLOREA, épouse du père Nicolae FLOREA
BIOGRAPHIE
Père Georges Bellières est né le 27 décembre 1932, à Réquista, dans le
département de l’Aveyron, dans le Sud de la France. Son père, Justin, était
commerçant, et sa mère, Georgette, femme au foyer. Celle-ci prête une attention
on toute particulière à l’éducation de Georges et de son frère Roger, de sept
ans son aîné. L’une de ses grand-mères, une femme très pieuse, le confi e avant
sa mort, à l’attention spirituelle d’un prêtre catholique proche de la famille.
A 20 ans, il sent un appel de Dieu vers la vie monacale, et il part à La Grande
Chartreuse (grand monastère catholique, renommé pour son ascétisme, similaire à
celui du Mont Athos). Il y vit en tant que frère pendant six ans.
Après cette période, il est envoyé dans le monde où, en 1961, il épouse Liselotte, avec
laquelle il a deux enfants : Christian (1962) et Nicole (1966). C’est à ce moment-là que père Georges reprend ses études de droit, tout en travaillant dans les transports, ayant créé l’une des plus grandes sociétés de transports avec chauffeur de la région parisienne. Dans les années 1970, l’une de ses
connaissances lui parle de l’Église Orthodoxe et il commence à se rendre aux offices de celle-ci. Il se convertit à l’Orthodoxie en 1973. En 1980, il connaît la souffrance de la perte de sa femme. Il épouse, en secondes noces, Claire, en 1981 (père Georges avouait avoir senti que Liselotte même l’avait
confi é à Claire, après sa mort) et ensemble ils ont quatre enfants : Marie (1982), Anne (1984), Jean (1987) et Pierre (1989). Il est ordonné diacre trois jours après son mariage avec Claire, officiant en tant que tel pendant 15 ans.
Le 16 juin 1996, il est ordonné prêtre par Son Excellence Monseigneur Silouane
et, sous la direction de Son Éminence le Métropolite Joseph, en 2003, il se voit
confi er la paroisse de Sucy-en-Brie. Il reste dévoué à cette paroisse et à sa
famille jusqu’à sa mort, le 17 décembre 2020, à l’âge de presque 88 ans.
Traduction réalisée par: Mara
URCAN, Melissa OPREA et Anamaria CRĂILĂ